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nicolas gauthier - Page 25

  • Sur la liberté d'expression...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. A cette occasion, Alain de Benoist revient sur la question de la liberté d'expression...

     

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    Liberté d’expression : elle ne vaut que par ce qui la délimite

    Il ne vous aura pas échappé que sur Boulevard Voltaire, la liberté d’expression est reine. Pourtant, certains commentateurs s’indignent parfois d’y lire des articles sur lesquels ils ne sont pas d’accord ! Surpris de voir les mêmes hurler à la censure médiatique et prêts à l’exercer à leur tour ?

    Pas surpris du tout. Quand on a, comme moi,
    été toute sa vie confronté à la bêtise de droite et à la malhonnêteté de gauche, on est vacciné. Mais je plains Robert Ménard d’avoir à subir les reproches de ce genre d’olibrius. Ils appartiennent malheureusement à une espèce assez répandue. « Nous n’avons pas de curiosité après l’Évangile », disait Tertullien. Eux, ils n’ont pas de curiosité après leur petit catéchisme. Dans leur vie personnelle, ce sont souvent des gens qui ne supportent pas la contradiction. Prendre en compte des points de vue différents leur est insupportable. Ils ne veulent lire que ce avec quoi ils sont « d’accord ». Ils ne veulent apprendre que ce qu’ils savent déjà (ou qui va « dans leur sens »). Ce sont, au fond, des gens qui ont peur : ils ne veulent rien connaître des arguments adverses, parce qu’ils sont incapables de les réfuter. Ils se plaignent de la censure, mais s’ils en avaient le pouvoir, ils en instaureraient immédiatement une autre. S’ils critiquent la pensée unique, ce n’est pas en tant qu’elle est unique, mais parce que ce n’est pas la leur. J’ai beaucoup de mal à prendre ces gens-là au sérieux. Le simple fait qu’ils ne soient jamais effleurés par le doute montre à la fois qu’ils ne sont pas intelligents et que ce ne sont pas des esprits libres.

    Pour moi, qui ai passé la plus grande partie de mon existence à lire des revues et des livres avec lesquels je n’étais « pas d’accord », et qui m’en félicite, ce que j’apprécie dans cet espace de liberté qu’est Boulevard Voltaire, c’est précisément de ne pas avoir à tout y approuver, à commencer avec l’islamophobie rabique (bien distincte de la nécessaire critique de l’islamisme radical ou des délires salafistes) qui règne dans tant d’articles, et surtout de commentaires. Je déplore aussi l’attention portée à la moindre anecdote de la politique française, que je trouve si ennuyeuse (la seule politique qui compte, c’est la politique internationale). Mais quelle importance ? Même dans les âneries, on trouve à s’informer ! Boulevard Voltaire, en tout cas, cesserait de me compter parmi ses lecteurs si l’on n’y entendait plus qu’une seule voix.

    Dans les trois revues que vous avez fondées, « Nouvelle École », Éléments et Krisis, vous arrive-t-il de publier des papiers sur lesquels vous êtes en franc désaccord ?

    Bien entendu, et tout particulièrement dans Krisis, qui se définit depuis sa création comme une « revue d’idées et de débats ». J’y publie très souvent, non seulement des textes sur lesquels je suis en complet désaccord, mais aussi des tribunes libres dont les auteurs soutiennent des points de vue parfaitement opposés. Il n’y a que comme cela que l’on peut se forger librement une opinion. Dans son essai sur L’argent (1913), Péguy disait très justement qu’« une revue n’est vivante que si elle mécontente chaque fois un bon cinquième de ses abonnés ». « La justice, ajoutait-il, consiste seulement à ce que ce ne soient pas toujours les mêmes qui soient dans le cinquième. Autrement, je veux dire quand on s’applique à ne mécontenter personne, on tombe dans le système de ces énormes revues qui perdent des millions, ou en gagnent, pour ne rien dire, ou plutôt à ne rien dire. » Ce n’était pas mal vu.

    Quelles sont les limites de la liberté d’expression et, d’ailleurs, est-il opportun de vouloir lui fixer des limites ?

    Par inclination personnelle, j’aimerais qu’il n’y en ait pas, mais je crains que ce ne soit pas possible. Il en va de la liberté d’expression comme de la liberté tout court : elle ne vaut que par ce qui la délimite. La liberté absolue, la liberté hors-sol, est vide de sens. Il y a d’abord les limites imposées par la loi. Je ne suis pas spécialement légaliste, mais il me paraît évident que Boulevard Voltaire n’a pas vocation à la clandestinité ! Il y a ensuite les limites qui tiennent au passage de la libre opinion à l’imputation calomnieuse et à la diffamation. Il y a enfin les limites que chacun devrait s’imposer : pas d’injures, pas de procès d’intention, pas d’attaques ad hominem, pas de dérision systématique, pas de grossièretés ni de ricanements. Mais là, j’en demande sans doute trop…

    Aujourd’hui, on a l’impression que le débat intellectuel n’existe plus ou qu’alors, il est devenu consanguin et sans surprises… On exagère ?

    On n’exagère pas du tout. L’immense majorité des débats se déroule aujourd’hui entre des individus qui affirment partager les mêmes « valeurs ». Comme ils tendent à criminaliser les valeurs qu’ils récusent, le débat disparaît de lui-même. En général, ils ne se disputent que sur les meilleurs moyens de parvenir aux mêmes buts. Cela dit, un débat intellectuel n’exige pas seulement que des points de vue opposés soient en présence. Il faut encore que certaines règles soient observées. Que l’on ait assimilé les principes de la disputatio. Que l’on ait compris que l’art de persuader ne relève pas de la sophistique, mais de la rhétorique de l’argumentation (de l’ethos, et non pas du pathos). Que l’on ait appris à décomposer un discours en thématiques, et les thématiques en propositions. Et surtout que l’on ait admis une fois pour toutes qu’un débat n’est pas un match de boxe, à l’image de ces « débats télévisés » où l’important est de savoir qui a écrasé l’autre, qui a fait la meilleure impression et le mieux imposé son « image ». Le vrai but d’un débat, c’est de clarifier les concepts et de faire progresser le savoir. Cela demande certes de l’érudition, mais aussi un peu d’humilité. Être convaincu d’avoir raison ne doit jamais empêcher de penser que les raisons de l’autre peuvent aussi contenir une part de vérité. Ce n’est pas affaire de tolérance, mais de discernement.


    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 20 août 2013)

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  • Un antiracisme sans races ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y évoque la question du racisme et de l'antiracisme...

     

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    L'antiracisme sans races, ça va être compliqué !

    Le mot « race » vient d’être officiellement supprimé des documents officiels. En finir avec le mot pour éradiquer les maux : n’est-on pas une fois encore en pleine pensée magique ? D’ailleurs, s’il n’y a pas de races, comment peut-il y avoir du racisme ? Et de l’antiracisme, au passage ?

    Rassurez-vous. Si elle affirme en effet ne plus reconnaître « l’existence d’aucune prétendue race », la République française déclare toujours qu’elle « condamne le racisme ». En fait, ce qui va être plus difficile à justifier, c’est la condamnation pour « incitation à la haine raciale », c’est-à-dire pour incitation à la haine de quelque chose qui n’existe pas. Il va aussi être plus difficile de justifier l’apologie du métissage, qui désigne désormais un mélange d’entités imaginaires, voire la promotion de la « diversité », puisqu’« il n’y a pas de diversité des races » (François Hollande, 12 mars 2012). Enfin, comme les gens s’entêtent à voir et reconnaître des « races » autour d’eux, il va falloir les persuader qu’ils sont victimes d’une illusion d’optique. Tous mes vœux à ceux qui voudront se charger de cette tâche !

    Cela dit, vous n’avez pas tort de parler de pensée magique, puisqu’on confond les mots et les choses. On pourrait aussi parler de démonologie, dans la mesure où il s’agit d’énoncer des formules rituelles et des mantras pour exorciser les “pensées mauvaises”. Mais on ne peut qu’être frappé également de la concomitance entre l’affirmation de la non-existence des races et l’offensive de l’idéologie du genre, qui raisonne à partir de prémisses identiques. La race serait comme le sexe une « construction sociale » sans réalité substantielle. D’où une même stratégie, typiquement orwellienne, de substitution lexicale : « population » au lieu de « race », « genre » au lieu de « sexe », « parent » au lieu de « père » et « mère ». L’idée sous-jacente est que lutter contre le racisme implique de nier l’existence des races, tout comme lutter contre le sexisme conduirait à nier l’existence des sexes. La réalité est évidemment qu’on peut accorder aux hommes et aux femmes les mêmes droits sans exiger d’eux qu’ils deviennent androgynes. Et qu’on n’assurera pas l’égalité par la négation de la diversité, ou par sa réduction à la mêmeté.

    Que disent d’ailleurs les scientifiques de cette notion pour le moins controversée ? Y a-t-il unanimité sur le sujet ?

    L’étude des races a beaucoup évolué depuis l’approche typologique du XIXe siècle. Dans son livre paru au Seuil en 2008, L’humanité au pluriel, Bertrand Jordan souligne que l’analyse de l’ADN permet de définir des groupes d’ascendance au sein de l’espèce humaine, que « les différences génétiques entre groupes humains existent » et qu’elles « sont ancrées dans l’histoire déjà longue de l’humanité ». Le fait est que depuis le premier séquençage du génome humain (2001), les travaux se multiplient sur les marqueurs génétiques qui identifient des appartenances de groupes. La diversité humaine n’est donc pas seulement individuelle, mais aussi collective, la prise en compte de ces pools génétiques permettant de retracer la phylogénie des populations humaines. Ce n’est évidemment pas qu’une affaire de peau, puisqu’en médecine légale on peut aussi bien identifier l’appartenance ethnique par l’examen du squelette ou celui de l’ADN. Comme l’écrivaient Nancy Huston et Michel Raymond dans Le Monde du 17 mai dernier, dire que l’espèce humaine s’est diversifiée au cours de l’évolution en populations qui possèdent des marqueurs génétique distincts est une simple constatation, qui n’implique aucun jugement de valeur. À partir de là, certains chercheurs tiennent à conserver le mot « race », d’autres non, ce qui n’a finalement pas une grande importance : le « débat sur les races » est finalement plus affaire de sémantique que de biologie moléculaire ou de génétique des populations. Vous noterez au passage qu’en 2008, Barack Obama a publié un livre intitulé De la race en Amérique. Et que les statistiques ethniques sont d’usage courant aux États-Unis.

    C’est ce qui a permis de savoir que Barack Obama n’a dû son élection qu’aux “minorités”…

    N’exagérons rien. Dans les seize élections présidentielles qui ont eu lieu aux États-Unis entre 1952 et 2012, un seul démocrate, Lyndon B. Johnson en 1964, a recueilli une majorité de votes chez les Blancs. Quant à Obama, il a séduit plus de Blancs que nombre de ses prédécesseurs démocrates. Neuf candidats démocrates, tous Blancs, ont recueilli un pourcentage de votes de l’électorat blanc inférieur à celui obtenu en 2012 par Obama
    (39 %). Jimmy Carter, par exemple, n’avait recueilli que 33 % des votes de cet électorat en 1980.

    Vous-même, qui avez écrit deux livres pour condamner le racisme (Contra el racismo et Europe, tiers monde, même combat), pouvez-vous résumer votre pensée sur la question ?

    Vaste sujet ! Le Dictionnaire historique et critique du racisme qui vient de paraître aux PUF, sous la direction de Pierre-André Taguieff, ne compte pas loin de 2000 pages… Disons pour faire bref qu’il est essentiel de bien distinguer les théories d’un côté (dont l’étude relève de l’histoire des idées), et de l’autre les comportements (dont l’étude relève de la sociologie). Les théories racistes sont celles qui, soit postulent une inégalité entre les races, soit considèrent l’appartenance de race comme facteur essentiel de l’histoire des hommes, ce qui implique la toute-puissance du déterminisme racial. Il n’y a plus grand monde aujourd’hui pour souscrire à ce genre de théories. Au sens des comportements, le “racisme” est une attitude de méfiance ou d’hostilité irraisonnée, souvent instinctive et spontanée, envers ceux qui appartiennent (ou qu’on croit appartenir) à une autre race. Cette méfiance ou cette hostilité n’a évidemment pas besoin d’être “théorisée” pour se manifester. Ce n’est qu’une forme parmi d’autres d’altérophobie ou d’hétérophobie, c’est-à-dire d’allergie à l’Autre-que-nous.

    J’y ajouterai une troisième forme de racisme. C’est celle qui consiste à déclarer les différences inexistantes, superficielles ou sans importance. On ne stigmatise plus l’Autre, on dit seulement que cet Autre n’existe pas, qu’il n’est en définitive que le Même. Ce racisme-là se pare souvent du masque de “l’antiracisme”. Plus pervers, il n’en est aussi que plus dangereux.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 11 août 2013)

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  • Quelques idées remises à l'endroit (2)...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y évoque la solidarité, les valeurs et le totalitarisme...

     

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    Solidarité sans solidarités ? Celle dont tous les médias parlent, mais qui autorise aussi à attendre deux mois avant de s’apercevoir que la voisine d’à côté est en train de pourrir sur son lit…

    C’est que le terme a changé de sens. Les solidarités anciennes étaient des solidarités organiques, qui s’exerçaient avant tout dans un cadre familial et communautaire élargi. Elles se fondaient donc sur la proximité, et aussi sur la réciprocité. Elles relevaient de la logique traditionnelle du don et du contre-don, dont on sait depuis Marcel Mauss que la règle tenait dans un triple impératif de donner, de recevoir et de rendre. La montée de l’individualisme libéral, liée à l’ascension d’une philosophie des Lumières désireuse de faire du passé table rase (en fonction du principe traditions = superstitions), a entraîné la désagrégation progressive des solidarités organiques. C’est ce qui explique la mise en place de l’État-providence, seule structure capable de limiter les dégâts.

    Parallèlement, l’échange marchand s’est substitué au système du don. La « solidarité » est désormais affaire d’opérations relevant du spectacle, comme le Téléthon, ou d’une propagande pour des causes lointaines, c’est-à-dire d’un discours où la langue est mise à disposition sur un mode tout à la fois instrumental et lacrymal. La réciprocité, enfin, tend d’autant plus à s’effacer qu’elle implique entre les auteurs et les bénéficiaires d’un acte de solidarité la claire perception d’une ressemblance, d’une parenté fondée sur des valeurs partagées, qui tend elle-même à disparaître. Pour l’automobiliste, l’autre homme, pris comme passant, n’est qu’un obstacle à la circulation. Pour la forme-capital, les cultures ne sont qu’un obstacle à l’expansion perpétuelle du marché.

    Valeurs sans valeurs ? Comment vilipender en même temps l’« ordre moral » et invoquer les « valeurs morales » à toutes occasions, tel Michel Noir, qui écrivait dans Le Monde qu’« il préférait perdre les élections plutôt que son âme » ?

    Cela nous a au moins appris qu’il avait une âme (ou qu’il croyait en avoir une), ce qui n’était pas évident. Les « valeurs morales » dont on nous rebat les oreilles sont à la mesure des « autorités morales » que sont censés être, par exemple, les membres des comités de réflexion en matière de bio-éthique. Leur autorité est en réalité parfaitement nulle, non seulement parce que la recherche scientifique se développe selon une logique intrinsèque qui rend sa « moralisation » aussi improbable que celle du marché, mais parce que leurs opinions n’ont jamais que la valeur de la philosophie, de l’idéologie ou de la religion dont ils se réclament, auxquelles nul n’est évidemment tenu d’adhérer.

    Ce qui est plus intéressant, c’est de constater comment le moralisme (Nietzsche aurait dit la « moraline ») a remplacé la morale. On pensait autrefois que la société se portait d’autant mieux que les individus s’y comportaient bien. Aujourd’hui, la permissivité gouverne les comportements individuels, mais on ne cesse de répéter que la société doit être toujours plus juste. De ce point de vue, on pourrait également dire que la morale a remplacé l’éthique. Le grand débat qui, en matière de philosophie politique, s’est instauré à partir de 1980 autour des thèses de John Rawls, le plus célèbre sans doute des refondateurs de la social-démocratie contemporaine, opposait ceux qui, comme Rawls lui-même, soutenaient la priorité du « juste » sur le « bien », et ceux qui défendaient au contraire la priorité du « bien » sur le « juste ». Ces deux perspectives sont incompatibles. La première renvoie à Kant, la seconde à Aristote. Ceux qui se réfèrent aux « valeurs morales » dont vous parlez sont des kantiens, conscients ou inconscients. C’est ce qui explique la vogue de l’idéologie des droits de l’homme, par opposition à la pensée du bien commun.

    Totalitarisme sans objet ? Pour un Bernard Antony, l’islam serait un nouveau « totalitarisme ». Pour un Alain Finkielkraut, c’est l’antiracisme qui serait lui aussi un nouveau « totalitarisme ». À force de mettre ce mot à toutes les sauces, la soupe n’aurait-elle pas tendance à devenir de plus en plus fade ?

    C’est un risque, en effet. À voir du « totalitarisme » partout, on risque de banaliser le concept, et donc de ne plus très bien savoir ce que c’est. La plupart des politologues qui, à partir des travaux fondateurs de Waldemar Gurian, Carl Joachim Friedrich et Hannah Arendt, ont étudié les deux grands systèmes totalitaires du XXe siècle, le national-socialisme hitlérien et le système soviétique, ont en général défini le totalitarisme par son recours à un certain nombre de moyens : parti unique, mobilisation des foules, contrôle absolu des médias, déportations et massacres de masse, élimination physique des opposants, monopole idéologique, invasion de la vie privée, etc. Cette définition a permis de distinguer les régimes totalitaires des régimes autoritaires ou simplement dictatoriaux, distinction qu’a très bien explorée le politologue espagnol Juan Linz.

    Mais cela ne répond pas à la question de savoir pourquoi ces régimes ont recouru à de tels moyens, et surtout dans quel but. Or, si l’on définit le totalitarisme, non par ses moyens, mais par ses buts, on constate vite que ceux-ci se résument à un désir de faire disparaître toute diversité politique et sociale, de façon à faire émerger un type d’homme « conforme » qui soit partout le même. Le fond de la pulsion totalitaire, c’est une aspiration à l’homogène – à l’Unique. De ce point de vue, il ne me paraît pas excessif de parler de « tendance totalitaire » pour décrire la façon dont se met en place aujourd’hui, par des moyens évidemment tout différents, une société de surveillance totale régie par la pensée unique. George Orwell est sans doute l’un des premiers à avoir compris qu’il est désormais possible de parvenir en douceur à des buts qu’on ne pouvait atteindre que par la violence autrefois…

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 9 août 2013)

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  • Quelques idées remises à l'endroit (1)...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y évoque la démocratie, le mariage et la violence...

     

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    Démocratie sans électeurs ? On nous assène les « valeurs démocratiques ». Mais quelles sont-elles, sachant qu’en démocratie, on a raison à 50,01 % et tort à 49,99 % des suffrages ? Alors que ce sont les mêmes journalistes qui boudent les institutions suisses à base référendaire, pour s’indigner ensuite de l’opinion du peuple. Comment sortir de ce dilemme ?

    Les procédures démocratiques n’ont pas but de déterminer qui a « raison » et qui a « tort ». Elles ne visent pas à statuer sur la vérité. Leur seule raison d’être est de montrer où vont les préférences des citoyens. Le suffrage universel n’est qu’une technique parmi d’autres pour connaître ces préférences. Il est loin de résumer la démocratie, qui elle-même ne se résume pas à de « libres élections ». (Au passage, rappelons aussi qu’en matière de suffrage, le principe démocratique n’a jamais été « un homme, une voix », contrairement à ce que l’on répète partout, mais « un citoyen, une voix », ce qui est tout différent.) Jean-Jacques Rousseau disait très justement que, dans une démocratie représentative de type parlementaire, les citoyens ne sont libres que le jour de l’élection. Dès le lendemain, leur souveraineté se retrouve captée par leurs représentants qui, en l’absence de mandat impératif, décident en fait à leur guise. Le parlementarisme ne correspond lui-même qu’à la conception libérale de la démocratie, ce qui conduisait Carl Schmitt à affirmer qu’une démocratie est d’autant moins démocratique qu’elle est plus libérale.

    La crise actuelle de la démocratie est fondamentalement celle de la représentation. Elle s’articule en deux volets. D’un côté, le peuple se détourne de la classe politique parce qu’il n’a plus confiance en elle, qu’elle est « trop corrompue », qu’elle ne s’occupe pas des « vrais problèmes », qu’elle ne répond pas aux attentes des gens, etc. De l’autre, les élites se détournent du peuple parce qu’il « pense mal », qu’il a des « instincts grossiers », qu’il se rebelle instinctivement contre les mots d’ordre de l’idéologie dominante. La « gouvernance » et l’expertocratie sont aujourd’hui les deux derniers moyens de gouverner contre le peuple, et surtout sans lui. Seule une démocratie participative, une démocratie directe, s’exerçant en permanence (et pas seulement à l’occasion des élections ou des référendums) peut corriger les défauts de la démocratie représentative. Mais cela exige de redonner du sens à la notion de citoyenneté. En clair : de remédier à la dé-liaison sociale en recréant un espace public ordonné à un grand projet collectif, au lieu d’inciter les gens à jouir sans mélange de leur repli sur la sphère privée.

    Mariage sans mariés ? Comment faire l’apologie de cette institution pour les seuls hommes n’y ayant pas droit, prêtres et homosexuels, alors que dans le même temps la défense des valeurs familiales fait rigoler tout le monde sur les plateaux de télévision ?

    La France est le pays d’Europe où le taux de nuptialité est le plus bas. La plupart des gens ne se marient plus : depuis 2007, dans les grandes villes, deux enfants sur trois naissent hors mariage. À l’origine, le mariage avait été institué principalement au bénéfice des femmes (le mot vient du latin matrimonium, dérivé de mater) pour deux raisons principales : clarifier les filiations et déterminer pour les hommes les conditions de l’accès aux femmes. L’Église n’a fait du mariage un sacrement qu’au début du XIIIe siècle, en 1215, époque à laquelle elle l’a strictement encadré afin de mieux contrôler les rapports entre les lignées. Le mariage homosexuel n’a évidemment rien à voir avec l’accès aux femmes, et le moins qu’on puisse dire est qu’il ne va pas clarifier les filiations. Le mariage, dans cette perspective, n’est plus perçu comme une institution, mais comme un contrat entre deux individus dont le sexe est indifférent. Le désir de mariage chez les homosexuels relève à mon sens moins d’une volonté de « subversion » qu’il n’est l’indice d’un prodigieux conformisme bourgeois, qui aurait fait s’étrangler de rire Jean Cocteau, Roger Peyrefitte ou Guy Hocquenghem. Il n’est le fait que d’une petite minorité de minorité. En Espagne, où le mariage gay a été légalisé en 2006, il ne représente que 2 % du total des mariages (et ce sont principalement des femmes qui le contractent).

    Puisque nous parlons de définitions, j’aimerais rappeler aussi que l’« homophobie », dont on parle tant aujourd’hui, n’a au sens strict rien à voir avec l’homosexualité, dans la mesure où les deux premières syllabes de ce terme ne renvoient pas au latin homo (« homme ») mais au grec homoios (« le même »). En toute rigueur, l’« homophobie » n’est que la phobie du Même. Il y en a de pires.

    Violence sans coupables ? Le père qui met une fessée à son fils est un assassin potentiel. Mais le voyou qui tue un passant pour une cigarette refusée ne sera que victime d’une autre violence ; sociale, il va de soi. Au-delà du cliché, cette « violence sociale » existe néanmoins, même si les médias peinent ou refusent de la mieux définir.

    Le mot de « violence » est fortement polysémique. Il l’est d’autant plus que la violence peut être aussi bien destructrice que créatrice, voire fondatrice, comme l’a maintes fois rappelé Michel Maffesoli. La violence privée est celle qui suscite les plus fortes réactions, mais la violence publique a souvent des conséquences plus graves. La violence sociale, liée aux contraintes de structure et à toutes sortes d’aliénations individuelles ou collectives, est encore une autre affaire. L’État s’est traditionnellement présenté comme seul détenteur de la violence légitime, prétention difficilement soutenable. Georges Sorel faisait l’éloge de la violence populaire par opposition à la force étatique, parce qu’il assimilait la première à la légitimité et la seconde à la simple légalité. L’expérience historique montre enfin que ceux qui dénoncent le plus la violence dans certaines situations l’admettent sans difficulté dans d’autres circonstances. Les deux exemples que vous citez, tout différents qu’ils sont, relèvent d’une même idéologie, celle qui conduit à faire bénéficier de la « culture de l’excuse » le voyou qui tue un passant pour une cigarette refusée, et d’autre part à condamner la fessée comme un acte d’autorité. Le dénominateur commun, c’est l’idée qu’il ne faut jamais sanctionner – sauf ceux qui sanctionnent, bien entendu. C’est dans le même esprit que les pacifistes appellent à faire la guerre à la guerre, c’est-à-dire la guerre au nom de la paix.


    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 5 août 2013)

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  • De la perte du sens des mots...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y évoque la perte du sens des mots et l'instauration progressive d'une novlangue orwellienne...

     

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    Vous vous êtes déjà exprimé sur Boulevard Voltaire à propos de la langue française. Vous en avez souligné le déclin et, surtout, les mauvais usages. Dites-en plus…

    Kŏngzĭ, alias Confucius, disait : « Lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté. » La perte du sens des mots fait partie de l’effondrement général des repères qui caractérise notre époque. D’où l’importance des définitions. Si l’on ne s’accorde pas sur ce que les mots désignent, il n’y a plus de débat possible, mais seulement un dialogue de sourds. Beaucoup de nos contemporains emploient déjà un mot pour un autre, ce qui traduit leur confusion mentale. Mais les mots sont aussi des armes, et le flou sémantique en est une autre. Il vise avant tout à discréditer ou à délégitimer. Employés de façon systématiquement péjorative, certains mots deviennent des injures (populisme, communautarisme, par exemple). La novlangue orwellienne alimente les polémiques à la façon d’une technique d’ahurissement. On ne peut répondre à cette dérive qu’avec une exigence de rigueur.

    Alors, prenons quelques exemples. « Extrême droite » ? En quoi est-elle extrême ? En quoi est-elle de droite ?

    Il y a chez les politologues deux écoles pour traiter de l’« extrême droite ». Les uns y voient une famille « extrêmement de droite », qui se borne à radicaliser des thématiques attribuées à tort ou à raison à la droite. Les autres préfèrent l’analyser à partir de la notion d’extrémisme, ce qui ne fait guère avancer les choses car cette notion est elle-même problématique (où commence-t-elle ?). Dans le discours public actuel, l’« extrême droite » est un concept attrape-tout, dont l’usage ressortit à une simple stratégie de délégitimation. Il est évident que, dès l’instant où l’« extrême droite » peut aussi bien désigner un sataniste néonazi qu’un catholique réactionnaire, un gaulliste souverainiste et un nostalgique de Vichy, un adversaire de l’avortement et un partisan de l’eugénisme, un national-bolchevique et un contre-révolutionnaire, un monarchiste et un défenseur convulsif de la laïcité, une telle expression est vide de sens. Elle n’a aucune valeur heuristique, phénoménologique ou herméneutique. À ceux qui l’emploient, il faut seulement demander quel contenu ils lui donnent, à supposer bien sûr qu’ils soient capables de le faire. La plupart en sont incapables.

    Antifascisme sans fascistes ? Ce dernier est mort depuis 1943 avec le putsch du maréchal Badoglio. On continue pourtant à nous faire peur avec…

    Il n’existe aucune définition scientifique du fascisme qui fasse l’unanimité chez les spécialistes. En toute rigueur, le mot ne s’applique qu’au ventennio mussolinien et, par extension, aux mouvements des années 1930 qui ont cherché à l’imiter. Le nazisme, fondé sur le racisme et l’antisémitisme, qui furent étrangers au fascisme jusqu’en 1938, constitue un cas tout à fait à part. La désignation du mouvement hitlérien comme « fascisme allemand » appartient à la langue du Komintern, c’est-à-dire de Staline. Bien entendu, on ne peut parler des « idées fascistes », ni les stigmatiser, sans en avoir lu les principaux théoriciens : Giuseppe Bottai, Giovanni Gentile, Carlo Costamagna, Berto Ricci, Alfredo Rocco, Ugo Spirito, Sergio Panunzio, etc. Le fascisme associe des thématiques qui ne lui appartiennent pas en propre (et qui me sont pour la plupart totalement étrangères), mais ce qui lui appartient en propre, c’est de les avoir réunies d’une manière spécifique. Le plus important est de bien voir qu’il est lié à une époque. Indissociable de l’expérience des tranchées, caractéristique de l’ère des masses, le fascisme n’est pensable que sous l’horizon de la modernité. Né de la guerre (la Première Guerre mondiale), il est mort de la guerre (la Seconde). Son souvenir peut susciter ici ou là des nostalgies pittoresques, comme l’épopée napoléonienne ou la résistance des Chouans, mais il n’est plus d’actualité à l’époque postmoderne.

    Le « fascisme » est devenu aujourd’hui un mot passe-partout, susceptible lui aussi de désigner n’importe quoi : fascisme vert, fascisme rose, sans oublier le fascisme islamique (l’« islamo-fascisme », pour parler comme les néoconservateurs américains qui ont créé cette chimère). On a même inventé des dérivés comme « fascisant » ou « fascistoïde ». Les Allemands parlent à juste titre de Gummiwort, de « mot-caoutchouc ». Quant à l’« antifascisme », qui prête à sourire, sa principale différence avec l’antifascisme des années 1930, c’est qu’il est absolument sans danger. Se dire antifasciste à l’époque du fascisme réel, c’était prendre un risque sérieux. Aujourd’hui, c’est un excellent moyen de faire carrière en s’affichant d’emblée comme un adepte de l’idéologie dominante. Il y a quelques années, voulant protester contre des expulsions d’immigrés clandestins, des hurluberlus étaient venus manifester près de la gare de l’Est en pyjamas rayés. Ils ressemblaient moins à des déportés qu’à des zèbres.

    Tout « anti » court par ailleurs le risque de tomber dans la spécularité. Pierre-André Taguieff a bien montré comment l’antiracisme manifeste une propension certaine à « raciser » les racistes, réels ou supposés. Il en va de même de l’antifascisme, de l’anticommunisme, de l’anti-islamisme, etc. Comme le disait en substance Aristote, il n’y a de contraires que du même genre. On devrait méditer pendant quelques heures sur cette observation.

    Anticommunisme sans communistes ? Même punition, même motif… Là, le « socialo-communisme » fait frémir les lecteurs du Figaro. Mais c’est un peu le même théâtre d’ombres…

    Le fascisme est en partie né d’une réaction au bolchevisme. L’époque des communismes est comme celle des fascismes : elle est derrière nous. Le Parti communiste français est devenu un parti social-démocrate, et le « dernier pays communiste du monde », la Chine, est aujourd’hui l’un des agents les plus actifs du capitalisme mondial. On peut même se demander si ce pays a jamais été vraiment communiste et si le maoïsme n’a pas été avant tout un radical avatar du vieux despotisme asiatique. Se dire aujourd’hui fasciste ou antifasciste, communiste ou anticommuniste, c’est avancer en regardant dans le rétroviseur. C’est surtout se tromper d’époque et, de ce fait, rester aveugle aux problématiques qui s’annoncent. Les militaires ont une invincible tendance à concevoir les prochaines guerres sur le modèle de celles qu’ils ont connues. Les civils ont du mal à penser un monde où ils n’ont jamais vécu. Il n’y a pire défaut pour quiconque veut entreprendre une action sociale ou politique que de n’avoir pas conscience du moment historique qui est le sien.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 1er août 2013)

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  • Débat pour tous !...

    Alors que le phénomène de la Manif pour tous semble doucement s'épuiser, l'heure est sans doute venue de réfléchir au bilan de ce mouvement atypique qui a réussi à mobiliser de nombreux Français, sans pour autant atteindre son objectif, le retrait de la loi Taubira. De sa position surplombante, quelque part sur Sirius, Alain de Benoist s'est essayé à l'exercice sur Boulevard Voltaire. La réaction du "terrain" à ses analyses ne s'est pas faite attendre avec un papier vif signé par la plume alerte de Gabrielle Cluzel. Un papier qui a lui-même provoqué une réponse du journaliste Nicolas Gauthier... Le débat est ouvert ! Bonne lecture...

     

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    On ne fait pas la révolution avec des gens bien élevés

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    Indubitablement, la Manif pour tous a suscité de nouvelles formes de protestation, à base de réseaux sociaux, à l’instar d’autres « printemps » ou de « révoltes » tout aussi informelles, tels les « Indignés » ou les « Occupy Wall Street ». Quelles leçons en tirer ?

    La Manif pour tous a été un grand succès et un incontestable échec. Le succès d’abord : ce n’est pas tous les jours que l’on parvient à mobiliser un million de personnes des deux sexes et de tous âges. Personnellement, j’aurais préféré en voir dix millions protester contre la dictature des marchés financiers et le crétinisme de la marchandise (on peut toujours rêver), mais ce n’est là qu’une opinion personnelle. D’une façon générale, on doit toujours soutenir le peuple quand il descend dans la rue pour une raison ou une autre (le mariage homo à Paris, l’augmentation du ticket de bus à São Paulo, un projet de destruction d’un espace vert à Istanbul), que ce soit en France, au Brésil, en Turquie, en Égypte ou ailleurs. C’est le plus sérieux indice du ras-le-bol. Un autre aspect positif, c’est l’apparition, en marge des manifestations, d’un certain nombre de modes de protestation originaux et inédits (les Hommen, les Veilleurs debout, etc.), qui ne se ramènent pas à une simple affaire de réseaux sociaux.

    L’échec n’en est pas moins évident : la Manif pour tous n’a tout simplement pas obtenu ce qu’elle voulait, à savoir empêcher l’adoption de la loi autorisant le mariage gay. Comme cet échec était prévisible, quoi qu’en aient pu dire les naïfs, une stratégie alternative s’imposait. On n’en a pas vu l’ombre. Tout ce à quoi l’on a assisté, c’est au sommet à des crêpages de chignons et à la base des proclamations du genre « On ne lâchera rien ». Mais lâcher quoi ? Quand on n’a rien obtenu, il n’y a rien à lâcher. Alors, on harcèle, on houspille, on fait siffler les oreilles du chef de l’État le 14 juillet, autant dire pas grand-chose. On rêve d’un « sursaut national » (hop, un sursaut !), comme on le fait depuis plus d’un siècle. Pour le « Printemps français », on repassera. La droite, de ce point de vue, ne changera jamais. Plus réactive que réflexive, elle ne sait marcher qu’à l’enthousiasme ou à l’indignation. Déterminer une stratégie révolutionnaire est au-delà de ses forces.

    Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans la nébuleuse anti mariage pour tous ? Son homogénéité sociale ou ethnique ? Son discours politique attrape-tout ? Ou sa réticence à renverser la table ? Bref, avons-nous affaire à de véritables révolutionnaires ?

    À des contre-révolutionnaires, plutôt. C’est-à-dire à des gens qui laissent régulièrement passer les trains pour ne pas faire la « politique du pire ». La plus grande erreur des organisateurs de la Manif pour tous a été d’accepter docilement de ne pas envahir les Champs-Élysées quand un million de personnes étaient prêtes à le faire. Débordant la simple réponse aux antifa(mille), la Manif pour tous aurait alors pu prendre une véritable dimension insurrectionnelle. Ce qui aurait au moins empêché la police de truquer les images et les chiffres. Mais on ne fait pas la révolution avec la « France tranquille » des pousseurs de poussettes et des gens bien élevés. On ne fait pas une révolution quand on n’a ni programme ni conception du monde à proposer. C’est pourquoi, plutôt que de chercher à renverser le pouvoir, on est allé chercher le soutien de Raffarin et de Copé. Dès lors, la messe était dite. La Manif pour tous a éveillé des consciences, elle n’a pas structuré les esprits.

    Pas de semblant de révolution sans quelques martyrs. Là, ce fut Nicolas Bernard-Buss. Sa peine de prison était évidemment disproportionnée, mais l’émotion de ses défenseurs ne l’était-elle pas un peu également ? Comme si le vide du pouvoir allait de pair avec le flou des revendications des manifestants ?

    On a bien entendu eu raison de protester contre l’incarcération du jeune Nicolas, et contre la généralisation du deux poids, deux mesures. Le mécanisme est d’ailleurs bien rodé. Il suffit de traiter les gêneurs de « fascistes » pour permettre la mise en œuvre du programme, que Laurent Joffrin proposait en toute bonne conscience dans Le Nouvel Observateur du 13 juin dernier, de « réserver aux fascistes (…) la vigilance quand ils se taisent, la dénonciation quand ils parlent, la prison quand ils agissent ». Vigilance-dénonciation-prison : un triptyque à retenir. À ce compte-là, quand Mélenchon traite François Hollande de « capitaine de pédalo », on finira par y voir des allusions homophobes ! Cela dit, on peut protester énergiquement sans tomber dans le délire ou la paranoïa. Dire que Nicolas sera « traumatisé à vie » pour avoir fait trois semaines de taule n’est pas flatteur pour lui : je l’espère quand même capable d’en voir d’autres ! Je reçois régulièrement des courriels affirmant que nous vivons aujourd’hui quasiment dans un régime totalitaire soviétique, ce qui est un peu ridicule (tout courriel comportant des séries de points d’exclamation va chez moi immédiatement à la poubelle). Certains devraient se souvenir que, dans bien des pays, quand on est gardé à vue, on a aussi de bonnes chances d’être tué, torturé ou violé. On n’en est pas encore tout à fait là.

    Beaucoup de participants de la Manif pour tous, à commencer par la petite bourgeoisie catholique (la « Génération JMJ ») qui en constituait les plus gros bataillons, manifestaient pour la première fois. Il leur en est resté le souvenir d’une excitation qui va de pair avec une certaine ingénuité. Ils déclarent fièrement qu’ils ont été « gazés », comme s’ils avaient eu à respirer du gaz sarin ou du Zyklon B. Pour ma part, j’ai dû prendre dans ma vie une bonne trentaine de giclées de lacrymogène dans la figure sans y voir autre chose que la conséquence logique de ma présence dans une manifestation ! Au moins ces néophytes ont-ils découvert que les gentils policiers « qui sont là pour nous protéger » savent aussi se servir de la matraque. Si cela leur a permis de comprendre que lorsqu’on s’attaque à l’ordre en place (qui n’est le plus souvent qu’un désordre établi), les forces de l’ordre sont des forces ennemies, ce sera toujours cela de pris.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 15 juillet 2013)

     

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    La France bien élevée vous emmerde !

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    Mais que cherchent au juste ceux qui, sur Boulevard Voltaire, à l’instar d’un Alain de Benoist, raillent, méprisent, minimisent (en faisant mine de le soutenir) le grand mouvement de cette année, et prophétisent sa fin depuis des mois, comme s’ils l’espéraient ?

    Ils l’appellent la manif des bisounours, des cuculs, des neuneus, des benêts, des trop polis, des naïfs, des ravis de la crèche, bref des cathos qui n’ont rien compris. Ils leur font la leçon, expliquant doctement, ah, là, là, que ce n’était pas du tout comme ça qu’il fallait faire, qu’ils s’y sont pris comme des pieds, que d’ailleurs, c’était perdu d’avance, qu’emmanchés comme ils sont, on ne fera jamais rien d’eux, surtout pas une révolution, bref que tout cela n’a servi à rien, que c’était juste la manif pour les nuls. Fermez le ban.

    Je lis, par exemple, que l’on ne fait pas la révolution avec des poussettes. Dois-je rappeler qu’on ne la fait pas non plus sans poussettes ? Car le propre d’une poussette est de voir, à terme, le contenu s’échapper du contenant… pour aller gambader, par exemple, quelque vingt ans plus tard sur les Champs-Élysées vêtu d’un polo rose La Manif pour tous. L’arme fatale du camp catho contre le camp bobo, pour reprendre la terminologie du dernier Causeur en kiosque, a été sa jeunesse, en nombre, que personne n’avait vu venir, sans soupçonner, bizarrement, que l’accueil de la vie prôné par l’Église à rebours de la société depuis des dizaines d’années finirait par porter ses fruits démographiques. Les cortèges de La Manif pour tous étaient peuplés de familles nombreuses, cela n’a échappé à personne. Les contempteurs de La Manif pour tous sur ce site lui reprochent souvent, à trop s’occuper du mariage gay, de ne pas voir « le grand remplacement ». Et pourtant, quelle meilleure façon, quelle façon plus vitale, plus féconde que bien des longs discours, d’œuvrer contre celui-ci, que ces petits enfants ?

    Ensuite, s’apitoyer sur le sort de Nicolas qui a fait trois semaines de taule serait bien ridicule. Cette bande de chochottes ! La prison est une promenade de santé, sans jeu de mots, une « expérience », a dit Ségolène Royal, avec le même sourire condescendant que certains sur ce site, et ce sont ceux qui n’en ont jamais fait qui en parlent le mieux. Quand Nicolas se réveillait dans sa cellule de Fleury-Mérogis, quand certains passaient la nuit en garde à vue, d’autres dormaient benoîtement dans leur petit lit blanc.

    Oui, je me prends à me le demander, quel objectif poursuivent donc ces contributeurs qui affirment — du bout des lèvres — se réjouir de ce mouvement sans précédent, mais jettent sur lui leurs critiques asséchantes comme du sable pour éteindre le foyer ?

    S’ils savent tout mieux que personne depuis le début, que ne font-ils œuvre de pédagogie par une analyse constructive et en renforçant leurs rangs, plutôt que rester à l’écart pour mieux les écraser de leur supériorité distanciée empreinte de désespérance ?

    Ne craignent-ils pas que cette France qu’ils ont décrétée consubstantiellement niaise, impropre par nature au service, finisse, malgré toute sa bonne éducation, par s’asseoir sur le bord du chemin pour leur demander des comptes : super, les gars, les éminences grises, les inspecteurs des travaux finis plus malins que les autres ; ben maintenant, on vous regarde : où se cache donc le million de gens que vous avez réussi à faire descendre dans la rue, la jeunesse (mal élevée, forcément, pour être efficace) rentrée en résistance qui harcèle le gouvernement, sans craindre l’opprobre pour défendre ses idées ? En plus d’être gnangnan, cette France-là doit être myope, hein, car elle a beau chercher, elle n’arrive pas à les voir, même en remontant loin en arrière. On ne fait peut-être pas la révolution avec la France bien élevée, on ne la fait pas non plus avec la France des éteignoirs et des bonnets de nuit.

    Je ne sais pas, encore une fois, quel objectif poursuivent ces contributeurs, mais je sais que ce n’est pas celui de l’unité, de l’unité pour mener sur tous les fronts le combat de civilisation dans lequel la France — bien élevée ou non — est engagée.

    Gabrielle Cluzel (Boulevard Voltaire, 17 juillet 2013)

     

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    Eh oui, un intellectuel, ça sert à quelque chose !

     

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    La polémique, pour peu qu’elle soit le fait de gens bien élevés, est toujours un régal de l’esprit. Ainsi, Alain de Benoist, dans un entretien réalisé par votre serviteur, pointe du doigt les faiblesses structurelles du collectif de la Manif pour tous et son échec politique final. En retour, Gabrielle Cluzel s’insurge, nous assurant en filigrane que les intellectuels, c’est bien gentil, mais qu’on ne les a pas beaucoup vus défiler dans la rue ni aller en prison.

    La critique est courte. Car à ce compte, il faut se faire circoncire pour parler des juifs, boursicoter pour disserter du capitalisme et se faire empapaouter pour causer des homosexuels.

    On ajoutera qu’Alain de Benoist ne nie en rien les aspects positifs de la chose : on a vu dans les rues des gens n’ayant guère l’habitude d’y descendre et nombre de jeunes y ont connu une sorte de « rite initiatique ». Qu’ils en rajoutent dans les « persécutions », rien que de très logique, de très humain ; à l’instar de ces soixante-huitards ayant eu un peu tendance à confondre rue de Gay-Lussac et tranchées de Verdun.

    Que feront-ils ensuite de cette expérience, c’est une autre histoire. On nous dit que certains adhèrent à l’UNI, d’autres à l’Action française et même au Front national. Vu la sociologie des manifestants, il y a gros à parier qu’une bonne majorité est déjà partie en vacances au Touquet en attendant d’intégrer de prestigieuses écoles préparatoires. À ce simple constat, il sera évidemment rétorqué à Alain de Benoist qu’il voit les choses de « haut » et le clope au bec. Ce serait pourtant oublier que l’homme s’éveilla à la politique en des temps lointains où la prise de risque était autrement plus dangereuse : à l’époque de l’Algérie française, on risquait plus souvent une balle qu’une giclée de gaz lacrymogène. Eh oui, la hauteur et l’ancienneté donnent du recul…

    Et le même, à juste titre, de houspiller cette droite traditionnelle en quête d’un hypothétique Triangle des Bermudes politique, là où ont disparu des Philippe de Villiers et au moins deux autres Charles, Millon et Pasqua. Soit une droite présentable qui ne sentirait pas trop fort sous les bras, façon Le Pen père et fille. La preuve en est qu’au climax de l’affaire, c’est à Jean-Pierre Raffarin et Jean-François Coppé que nos manifestants pour tous ont fait appel. Finalement, Marine Le Pen a été sage de ne pas s’impliquer plus que ça dans ce happening brinquebalant, préférant laisser monter sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen, en première ligne…

    La polémique semblant enfler sur ce site, certains commentateurs évoquent encore les mannes audiardesques : « Un con qui marche va toujours plus loin qu’un intellectuel assis… » Certes, mais si c’est pour aller droit dans le mur ou le gouffre, à quoi bon ? D’où cette question induite : à quoi sert un intellectuel ? Et, dans le cas qui nous occupe, quelle est l’utilité d’un Alain de Benoist ?

    Peut-être tout simplement à ceci : près d’une centaine de livres édités et traduits en de nombreuses langues, trois revues, Krisis, Nouvelle École et Éléments, vieilles de près d’un demi-siècle, sans oublier des milliers d’articles et autres entretiens publiés en Europe et ailleurs. Bref, une œuvre hors du commun.

    Après, l’influence d’un intellectuel est délicate à peser à telle ou telle aune. Quelle fut celle d’un Charles Maurras ? Le général de Gaulle et François Mitterrand l’avaient manifestement lu et ce ne fut pas sans effets. Celle d’un Alain de Benoist ? Il est plausible de rappeler qu’elle est majeure depuis les années 70. Sans ses écrits, la droite française en serait toujours au stade des Bérets verts, le film très con de John Wayne, voire à celui d’un Chuck Norris, plus nul encore. Aussi empiriste que le vieux maître de Martigues, c’est grâce à lui que nous avons compris à ne pas confondre causes et effets. Explications : c’est bien de lutter contre l’immigration de masse, ce « Grand Remplacement » stigmatisé par un autre intellectuel, Renaud Camus. Mais c’est mieux de taper sur les véritables coupables, le club Le Siècle et le MEDEF, que sur les idiots utiles de l’extrême gauche.

    C’est encore lui qui a su théoriser ce que tant de gens ressentaient confusément. L’URSS était un concurrent, alors que l’ennemi de toujours demeure les USA. Qu’un centre commercial menaçait plus sûrement la civilisation chrétienne et l’âme française qu’une mosquée. Et que nombre de gens de droite se réfugient plus dans la réaction que la réflexion, persuadés qu’il est possible de défendre en même temps libéralisme économique et conservatisme moral, alors que le libre-échange des hommes et des marchandises conduit inévitablement au libre-échangisme des sexes. Comme quoi, un intellectuel qui pense peut aller plus loin qu’un clampin qui marche, précédé ou non d’une poussette…

    Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 17 juillet 2013)

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